jeudi 5 février 2009

S.Guitry, DE JEANNE D'ARC A PHILIPPE PETAIN (1944)


MCDXXIX-MCMXLII ou De Jeanne d'Arc à Philippe Pétain – qui ne sait de quoi il retourne se demande bien à quoi peut ressembler un film portant un titre pareil. L'étonnement est redoublé lorsque l'on découvre cet objet cinématographique absolument unique: pendant une heure est filmé un livre dont on tourne les pages unes à unes, avec des commentaires de Guitry lui-même, des textes lus par certains de ses contemporains (dont Jean Cocteau) et des pièces musicales. Ce livre est d'abord un livre d'art destiné à la vente conçu par le réalisateur, compilant des manuscrits, des illustrations et des textes imprimés suivant le fil de l'histoire artistique et politique de la France de Jeanne d'Arc à, c'est assez malheureux, Philippe Pétain – le film est réalisé en 43. Ainsi parcourons nous une certaine histoire de France, au gré de gravures (Henri IV, Descartes, Montesquieu, Talleyrand, l'Empereur...), de reproduction d'oeuvres plastiques (esquisses de Delacroix, de Degas, photos de travaux de Rodin) de la lecture de textes, de vers, d'aphorismes, de traits d'esprits, (mots de Voltaire ou Rousseau, lettres de Musset ou Pasteur, Voyelles de Rimbaud...) et d'interprétations d'extraits de pièces musicales (Carmen, Pelléas et Mélisande...).

Après un premier plan sur le livre fermé et debout, mi monument funéraire mi tour de guet, le livre s'ouvre dévoilant ses trésors le long d'un plan fixe en plongée de 58 minutes. Inclassable, ce filmlivre participe à la fois du genre publicitaire – Guitry faisant la promotion-présentation de son ouvrage d'art en l'honneur de la France éternelle – de la démarche encyclopédique et du film de propagande, tout en étant en lui-même un geste artistique d'une grande audace, une oeuvre mineure en un sens mais sans équivalent. Nous sommes en effet à la limite de l'art cinématographique et même de l'art tout court, puisque le film ne fait que présenter une oeuvre accomplie sous une autre forme, oeuvre qui elle-même n'est qu'une compilation: répétition de répétition, commentaire de commentaire. Mais après tout lorsque Guitry transposait ses pièces de théâtre en oeuvres pour le cinéma, les mettant, selon ses propres mots, « en conserve », les fixant dans un désir d'éternité, il suivait une démarche tout à fait analogue.

On n'est pas sans ressentir une certaine gêne lorsque sont tournées les dernières pages de cette histoire, évoquant « l'amour sacré de la patrie » et dévoilant le portrait du Maréchal qui eut le malheur de représenter la France en ses pires heures; mais on est ému pourtant devant le silence pudique qui accompagne ce final tragique et l'espoir d'une « France sauvée par les arts ». Certes cocardier, De Jeanne d'Arc à Philippe Pétain est avant tout une déclaration d'amour à la culture, aux arts et à l'esprit.

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