mercredi 25 novembre 2009

R.Emerich, 2012 (2009)


Un bon cataclysme a ceci d'intéressant que mettant tout sens dessus-dessous il impose à l'homme la confrontation avec tous les éléments. Lorsqu'en 2012 des neutrinos étonnamment actifs feront fondre le manteau terrestre tout ne sera plus que séismes, éruptions et raz-de-marées. Terre, feu, eau: la nature se déforme pour exploser en ses éléments bruts. Aussi pour sauver sa peau faudra-t-il faire preuve de beaucoup d'adresse: éviter de sombrer dans les entrailles de la terre, esquiver les boules de feu d'un volcan grand comme le Wyoming au commandes d'un coucou, ne pas périr noyé alors que ne restent hors de l'eau que quelques sommets himalayens. De tels événements sont une aubaine pour le cinéma puisque c'est l'occasion de décliner le film-catastrophe sous ses formes aériennes, volcaniques ou aquatiques; de soumettre aux plus rudes confrontations, l'homme, son fils, sa femme et sa machine. Sur ce point, 2012 accomplit quelques belles performances comme la course en limousine en plein effondrement de Los Angeles ou l'atterrissage sur glacier d'un Antonov AN 220 de 350 tonnes – avec sortie en marche au volant d'une Bentley.

Un cataclysme naturel est aussi une crise politique, et d'envergure mondiale; l'occasion de rencontres au sommet pour le président des Etats-Unis et, pour le spectateur, d'un tour du monde vu par l'Amérique d'aujourd'hui. On ne trouvera certes pas en 2012 de solides réflexions géopolitiques, mais même de divertissement, l'oeuvre est symptôme d'un état de l'opinion – et on sait que le cinéma populaire américain a presque toujours une dimension politique. On notera sur ce point la place notable de la Russie et surtout celle de la Chine dont la puissance de production et les hauts plateaux permettent la construction des « arches » destinées à sauver une partie de l'humanité – et au passage, via quelques bonzes forts sympathiques, une pensée pour le Tibet, sans toutefois le nommer. Quant à l'Europe, elle apparaît comme puissance mais dans une position secondaire. Enfin, l'Afrique, passive pendant les événements, s'étant néanmoins « soulevée » par la grâce de la tectonique des plaques, incarne en tant que seule terre émergée la promesse d'une renaissance de la civilisation une fois lavés les péchés du monde ancien. Ainsi est dressée une cartographie sommaire de l'état des rapports de force dans le monde du début du XXIème siècle et revisité, en un temps ou la peur du « climat » prend le pas sur la peur de l'atome, ce vieux fantasme du Nouveau monde: le monde nouveau.

Procédant à une totalisation géologique et géographique, 2012 ose à peine celle qui était la plus intéressante car culturelle: la totalisation historique. On dira que dans un monde où l'histoire est destinée à repartir de zéro il était naturel de la sacrifier. Elle avait pourtant toute sa place puisque une des deux ou trois questions que pose le film est précisément de savoir ce qu'il faut sauver de l'ancien monde: qui et quoi. Emerich a bien vu qu'il y avait là matière à réflexion, qu'en ces conditions de fin du monde où une sélection des hommes, des êtres et des oeuvres est nécessaire – puisque seule une partie de ceux-ci peut être sauvée – c'est cette sélection qui est l'enjeu réel. Malheureusement il la réduit au débat entre un méchant qui n'entend sauver que ceux qui ont payé leur place dans les arches et un gentil qui veut sauver tout le monde sans le pouvoir, ce débat se concluant sur une explosion de moraline difficile à supporter. Qu'aurions-nous aimé? Que soit traitée la question de la sélection et de la conservation. Or, cela aurait pu se faire sans préjudice pour le caractère grand public de 2012 : imaginons dans les arches quelques plans sur d'immenses bibliothèques d'incunables, des panthéons d'oeuvres d'art, des laboratoires où sont consignées substances étonnantes, cellules de toutes sortes et souches virales, un service zoologique avec les sections « reptiles », « insectes », « vers »; dans les soutes tout un mini-monde, inventaire de ce qui doit résister à la liquidation, collection géante de la diversité biologique et culturelle de notre planète! Le tout avec quelques responsables extrêmement sérieux décrivant d'un ton solennel ce que la caméra découvrirait à nos yeux! Il y avait là de quoi faire frémir le spectateur moyen: moins de fascination devant l'action et plus de vertige devant l'être. Las... Nous devons nous contenter d'une Joconde et d'une girafe comme métonymies de l'histoire de l'art et de la vie.

Les 2h40 de 2012 auraient pourtant permis ce genre de travail, et celui-ci aurait justifié cette durée. Mais non; 2012 reste un pur film catastrophe, avec, comme le veut la mode, une dose de second degré, un jeu avec les clichés qui est parfois de bon aloi, et une mise en scène plus ludique qu'effrayante des scènes d'action. Toutefois l'usage fréquent du gag et la présence de quelques personnages à trognes sont parfois contre-productif. La catastrophe recèle un sublime qu'il est dommage de court-circuiter: malgré sa naïveté, la bouche bée sied mieux que le rire bête. Mentionnons tout de même les rares mais forts plans d'effondrement objectif du monde humain où, libérés de la logique subjective de l'action, nous contemplons à l'écran un monde construit pour être détruit.
Voilà ce que le cinéma catastrophe, lorsqu'il n'est pas capable de faire de la politique ou de la métaphysique, peut faire de mieux. La puissance de l'image nous rappelle alors que les effets spéciaux, loin de trahir l'art comme on peut le penser hâtivement, appartiennent à l'essence du cinéma en tant que constructeur de mondes auxquels on doit, du point de vue perceptif, croire.