lundi 2 février 2009

Lars von Trier, EPIDEMIC (1987)


Deux jeunes scénaristes écrivent l'histoire de la propagation d'une peste, mortelle et répugnante; certains signes laissent penser que ce dont ils parlent est en train, réellement, de se réaliser.

L'oeuvre se déploie sur deux niveaux diégétiques: 1. l'avancée dans l'écriture du scénario (et l'irruption d'événements en rapport avec celui-ci); 2. le « film dans le film »: scènes appartenant à l'oeuvre que sont en train de penser et de se représenter les deux scénaristes. Pour marquer l'hétérogénéité de ces deux niveaux, le premier est tourné en 16mm, dans un noir et blanc sale et hésitant, et quasi naturaliste, le second en 35mm et de façon plus léchée de manière à évoquer une forme plus classique pour l'oeuvre imaginée. En somme, nous avons d'un côté la mise en scène un peu anarchique d'un « réel » trouble où l'on pense et l'on parle de l'oeuvre à faire, de l'autre, le « cinéma », la composition du plan, les clichés maîtrisés, voire le lyrisme.
Entre les deux, Lars von Trier ne sait ou ne veut trancher; en bon artiste post-moderne, il refuse la forme classique mais en a la nostalgie. Si l'on ajoute à cette distinction des deux plans sur lesquels joue le film, l'existence d'un narrateur en off, le fait que les deux personnages scénaristes sont aussi les scénaristes et réalisateur de fait (Niels Vorsel et Lars von Trier), que le rôle de l'intermédiaire avec les producteurs est interprété par celui qui est réellement l'intermédiaire de von Trier avec ses producteurs, qu'en somme, les conditions de la réalisation d'Epidemic sont mises en scène dans Epidemic, on en arrive à un film où les emboîtements, la mise en abyme, le caractère de work in progress sont poussés à l'extrême. Si le dispositif fait un peu mode, il est ici franchement bien mené et surtout, le travail sur l'image, l'inventivité visuelle et sonore, la matière cinématographique, ne sont pas étouffés par la réflexion ou le jeu sur l'activité cinématographique elle-même. En outre, le ressort scénaristique n'est pas juste une bonne idée, mais est l'occasion de contre-balancer un second degré et une « icônoclastrerie » très présents, par des éléments de réflexion sur la force des images, la puissance et la responsabilité du créateur; je cite approximativement: « nous nous amusons de la souffrance des hommes »... or, bientôt, l'auteur de la fiction se trouve pris à son propre jeu et la souffrance devient réelle. Contrairement aux apparences, Epidemic n'est pas sans morale – sans question morale.

Epidemic
, c'est la mise en scène et en pensée de la contagion entre les images et le réel, de la perméabilité entre ces deux modes de l'être qui semblent ontologiquement distincts. La permanence du titre à l'écran (EPIDEMIC® reste inscrit en lettres rouges en haut à gauche de l'image tout le long du film), « truc » un peu facile au demeurant, vient signifier cette circulation entre images et réalité en faisant le lien entre les deux niveaux dont nous avons parlé. Lars von Trier a cherché à créer, par des moyens radicaux, une mise en scène et une construction adéquate à son sujet. Il y réussit à demi, car le film a par quelques côtés un aspect bric-à-brac, un caractère non fini, et l'on peut regretter quelques facilités et fautes de goût, le choix de la musique, par exemple, après l'extraordinaire séquence finale, qui toutefois justifie à elle seule la vision d'Epidemic (« fautes » volontaires évidemment, mais...). Enfin, notons que l'on trouve ici en germe l'humour et le gore bubonique et grotesque de la future série The Kingdom (L'hôpital et ses fantômes).

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