vendredi 17 avril 2009

H.Miyazaki, PONYO SUR LA FALAISE (2008)


Avec Ponyo sur la falaise, Miyazaki va vers l'épure. L'histoire, le dessin, le propos, tout converge vers une claire lisibilité, vers la simplicité. A cinq ans sans doute, on peut aimer Ponyo – mais avec mille ans de cinéma et de souvenirs aussi. C'est que sa simplicité n'est pas superficialité mais pureté. Ponyo, c'est l'élémentaire: le feu et l'eau, l'homme et la femme – le bien et le mal? Presque, mais plutôt le Bien et les maux. Il n'a pas de principe de mal, seulement des erreurs, des errances qui font manquer le bien; et le « méchant » n'est qu'un égaré. Ce bien, c'est l'amour. L'idée, quoique rabattue, reste sublime à qui sait la penser, et Ponyo nous y aide. Le film ne s'interprète pas mais s'impose au coeur comme s'impose son amour à celui qui aime pour la première fois. Il n'y a pas de « niveaux de lecture », qui permettraient aux enfants et aux adultes de comprendre et de trouver de l'intérêt, il n'y a pas différents « messages ». Il n'y a qu'une évidence à laquelle il suffit d'être sensible, c'est que l'amour seul sauve les hommes, chose peut être plus facile à comprendre aux enfants qu'aux adultes et aux femmes qu'aux hommes.

Les femmes... Comme de coutume elles apparaissent souveraines à côté de l'agitation sans finalité des pauvres mâles, et il n'y a guère que les petits garçons pour trouver grâce aux yeux de Miyazaki. La sublimité de l'élément féminin ne va cependant pas jusqu'à abolir l'élément masculin, car ce serait abolir l'humanité qui est feu et technique. Or, l'opposition homme/femme, déclinée en feu et eau, technique et nature a vocation à être surmontée. Les opposés ne le sont pas suffisamment pour interdire toute conciliation. Ainsi, Sosuke et Ponyo connaissent dès leur première rencontre l'amour et non la rivalité: « Ponyo aime Sosuke », n'est-ce pas la première phrase prononcée par Ponyo? Et sa réelle naissance, ne se fait-elle, comme celle d'Eve, de la chair de celui qu'elle aimera? Pour cette raison, on ne saurait réduire Ponyo sur la falaise à une fable écologique, à une critique du monde technique moderne, l'opposition monde naturel / monde technique n'étant pas la tension décisive, qui se fait plutôt entre l'essentiel et le superficiel, l'amour et toutes les formes de son absence. Ces tensions ne renvoient pas à d'éternelles luttes entre principes mais à l'abîme – pourtant franchissable – qu'il y a entre vivre dans la vérité et vivre dans l'erreur, vivre dans l'amour ou vivre dans l'errance et le divertissement. Les tensions horizontales entre principes (eau/feu, femme/homme, nature/ technique-culture) pourront toutes être surmontées par l'amour, élévation verticale du manque d'être à la plénitude d'être.
Au travers et au-delà de l'influence de La petite Sirène d'Andersen, on retrouve ainsi dans Ponyo des aspects du romantisme allemand qui, de Schelling à Wagner, pensait le christianisme (l'amour) comme réconciliation des opposés et dépassement du paganisme. Ce n'est pas européaniser le film que de dire cela, au vu de l'abondance des signes renvoyant à cette tradition: du prénom donné à Ponyo par son père: Brünehilde, à la musique qui ne fait pas mystère de son dû à Wagner.

La stérilité de l'opposition frontale entre une technique (qui serait mauvaise par essence) et la nature est manifeste au vu de la magnifique séquence des signaux lumineux échangés entre le fils et son père, la femme et son mari. Tout est question d'usage, de sens, de finalité. Ainsi, si le vent et les vagues peuvent balayer les structures humaines, ce qui nous est proposé n'est pas un retour à la nature, mais une culture revivifiée par l'amour. Aussi, dans le nouveau monde qui s'ouvre, purifié par le déluge, les amoureux ne sont pas dépossédés du feu qui fait se mouvoir leur petite embarcation.

On peut regretter les quelques concessions faites à l'établissement d'un scénario « cohérent », qui nous font par exemple apprendre dans une séquence très didactique qu'il y a des élixirs très dangereux dans le navire du père de Ponyo, qu'ils ne doivent pas être au contact de l'eau, etc. Certes, il fallait articuler quelques éléments scénaristiques pour faire avancer le film, mais nous nous fichons de certains détails de l'histoire comme Miyazaki lui-même, qui nous la présente rapidement et avec un peu de maladresse. Autre point de détail tout à fait étonnant – mais peut-être est-ce dû à la traduction –, les usages ponctuels de termes issus d'un lexique scientifique factuel comme « l'ADN » ou le « dévonien », usages déplacés et même de mauvais goût dans une oeuvre dont le ton et la norme de vérité est celle du conte. Ce point mis entre parenthèse, Ponyo sur la falaise va toujours à l'essentiel, trop évidemment peut-être pour que tous le sentent – car c'est un conte pour enfant: une eau limpide dont on ne voit pas le fond.

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