vendredi 17 avril 2009

D.Sirk, MIRAGE DE LA VIE (1959)



Cela commence par une pause de pin up. Penchée sur une balustrade Lora (Lana Turner) est photogénique; tant mieux puisqu'elle veut être une star. Seulement, il y a de l'inquiétude dans son mouvement: elle cherche sa fille dans la foule. La mère est troublée, la fille pas encore. Cela arrivera. Il faut, en tout mélodrame, que sur les situations heureuses planent des menaces qui laissent entrevoir de futures explosions.

Mirage de la vie repose sur quatre personnages, deux mères, deux filles. Toutes les combinaisons de ce jeu à quatre éléments seront développées par Sirk, combinatoire d'une grande richesse puisqu'aux tensions psychologiques classiques permises par un tel carré (relation mère-fille, rivalités horizontales et verticales, demandes d'amour, désir de rupture...) s'ajoute une tension sociale, rarement abordée alors avec une telle frontalité: la question noire. Cela complique les relations: quelles que soient les motivations et discours des individus, le fait social est là et agit à leur insu. Ce qui frappe est évidemment que les quatre personnages d'importance soient des femmes. Steve Archer (John Gavin) est certes souvent présent, mais il est évident que ce n'est pas lui qui intéresse Sirk. Les hommes sont les absents de Mirage de la vie, n'apparaissant que sous les espèces du fade bourgeois, du lubrique, ou du poseur. La femme apparaît pleine de tensions, comme dramatique par essence, polarisée qu'elle est entre jeunesse et vieillissement, retenue et explosion, pudeur et vulgarité, amour et haine, et surtout être et paraître.

S'il y a bien en effet une question qui hante le film, c'est celle de l'authentique et de l'artificiel et de la difficulté – de l'impossibilité – à sortir des jeux de miroirs auquel chacun est soumis devant les autres et devant lui-même. Le problème noir d'une part, le monde de la scène d'autre part (théâtre ou cinéma, Brooklyn ou Hollywood), sont en effet deux champs dans lesquels cette problématique peut se décliner avec une force tout à fait singulière – et les Etats-Unis réels faire irruption. Sirk noue les relations entre ces personnages en plaçant son système à quatre éléments dans un environnement dont l'action consiste essentiellement en regards (regard du public pour la star, regard de désir pour la femme, regard méprisant pour la noire, etc.) que l'on craint, que l'on désire ou que l'on fantasme. Même entre quatre murs, et en famille, il y a des masques. Qu'on ajoute des fenêtres: l'immense oeil qu'est le dehors vient compliquer la mascarade. Techniquement, les jeux de miroir et d'ombre et de lumière – particulièrement puissants pour un film en couleur – rendent sensibles la diffraction des âmes, selon les regards en lesquels elles se réfléchissent, tandis que le travail sur les couleurs, le décor et les costumes, surtout quand les petites sont devenues grandes, confère au film une grande sensualité.

Malgré son titre, Imitation of life ne nous présente pas des êtres qui seraient faux de bout en bout, condamnés à n'être qu'images. Le dilemme entre l'essentiel et le superficiel se pose, à un moment ou à un autre, pour chacun – et prend finalement la forme morale chrétienne de l'opposition entre amour et orgueil. Le danger auquel sont confrontés les personnages du film, et en tout premier lieu l'actrice Lora, est tout simplement celui de perdre leur âme. Les problématiques psychologiques et sociologiques sont ainsi dépassées ou absorbées par la question morale.

Un film qui fait la morale donc, mais sans être édifiant: Annie, la servante noire, la plus humble des quatre femmes, celle qui semble échapper aux jeux aliénant des regards, pèche elle aussi par orgueil en se préparant des funérailles grandioses. Elle reste néanmoins un foyer irradiant d'authenticité, et est peut-être, comme le supposait Serge Daney (Libération, 3 mai 1982), le personnage principal du film.

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