lundi 30 mars 2009

J.Demy, LES PARAPLUIES DE CHERBOURG (1964)


La perfection atteinte par ce joyau du cinéma interroge. On sait que le cinéma offre d'immenses ressources: il emprunte aux arts picturaux, musicaux, poétiques. Le pari de Demy a été d'utiliser «à fond» tous ces moyens en vue d'une oeuvre d'art totale – au fond un vieux rêve du cinéma.

Mais comment prétendre à un tel objectif sans faire une oeuvre bâtarde, esthétiquement lâche, un sous-opéra filmé? Nous ne pouvons répondre qu'en évoquant le talent, l'inspiration, et l'heureuse et passionnée collaboration entre Demy, Legrand (musique) et Evein (décors); et décrire à défaut d'expliquer. Musique: le film est une longue et charmante pièce musicale, avec thèmes et variations; chacun chante au lieu de parler. Art pictural: formellement, des plans composés comme des tableaux – mais cela n'est pas nouveau; en revanche, le travail sur la couleur est tout à fait étonnant et caractérise le film autant que l'usage qu'il fait du chant. Poésie: les textes sont délicats, la langue claire; les thématiques abordées valent universellement: amour, bonheur, temps, mort. Tous ces éléments se répondent les uns les autres en un film parfaitement équilibré. L'excellence du résultat se traduit par sa «communicabilité»: rares sont les films qui puissent séduire les enfants comme le public averti. Kant écrivait que le génie ne se trouve pas dans la forme mais dans la matière. La composition est formellement classique, c'est dans le contrepoint entre les matières musicales et visuelles que réside le génie de l'oeuvre.

Les Parapluies de Cherbourg, tout en étant absolument singulier est un chef d'oeuvre de forme classique: il se suffit à lui-même, s'expose sans reste, sa règle est l'harmonie. Demy fait confiance à une composition narrative et à un montage classique pour orienter les émotions produites la couleur et la musique. Ces affects esthétiques permettent en retour la sublimation de «ce qui arrive», du banalement tragique de l'existence. Les Parapluies de Cherbourg, ou comment une artificialité maximale (des rues repeintes, un film tourné en play back!) rend possible la transfiguration de la réalité en beauté. Au royaume de l'artifice brille toutefois, comme en un écrin, la beauté naturelle de Catherine Deneuve qui deviendra par la grâce de ce film une nouvelle étoile du cinéma.

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