mardi 11 octobre 2011

V.Donzelli, LA GUERRE EST DECLAREE (2011)

Parce qu'une oeuvre d'art se destine à un public, celui qui la réalise se pose nécessairement la question de ses effets sur celui-ci. Il se demandera par exemple: « comment cet élément de l'oeuvre agira sur le public? » ou « que dois-je faire pour produire telle réaction? ». Chez ceux qui prennent l'art le plus au sérieux, ce problème est cependant subordonné à celui de la valeur intrinsèque de l'oeuvre. Les questions sur ce point sont plutôt: « comment organiser mes éléments pour produire une oeuvre belle et consistante? », « que faire pour donner un sens profond à ma composition, pour qu'elle soit ''vraie''? ». Il appartient bien à la nature d'un livre, d'un retable ou d'un film d'émouvoir, d'édifier, voire de démontrer, ce n'est cependant pas par ces fins là qu'ils reçoivent leurs plus hautes qualités, mais plutôt par le sens qui est visé à travers eux. Un Memling peignant son Jugement dernier, un Eisenstein réalisant Potemkine, jouissent du fait que leurs oeuvres sont des armes de persuasion massives, productrices de mythologies. Cependant, si leurs oeuvres sont grandes c'est d'abord parce qu'ils les ont considéré comme ayant une finalité en elle-même, et qu'avant de se soumettre à des impératifs de communication, ils se sont soumis à des impératifs esthétiques, logiques, idéologiques. Autrement dit, l'artiste au sens fort pense aux qualités internes, à la perfection de son oeuvre, avant de penser à ses effets. Il pense à l'être avant de penser à la perception.


Cette hiérarchisation des priorités est remise en cause « par le haut », si l'on peut dire, dans l'art contemporain – lorsqu'il tend à dissoudre le concept d'oeuvre et se pense comme devant essentiellement faire s'interroger un public, le faire réfléchir sur sa perception –, « par le bas » dans toute production pragmatique, comme la propagande ou la publicité et toute forme de communication – et sans doute arrive-t-il que ce haut et ce bas se confondent.


La guerre est déclaré nous offre un bel exemple de la préoccupation quasi exclusive de l'effet à produire: le public n'a de cesse d'être flatté et séduit. Ce processus de séduction passe d'abord par un constant changement de ton, dont la fonction principale est vraisemblablement de créer de la surprise. On oscille ainsi entre le dialogue naturaliste et les mines les plus théâtrales, entre Vivaldi, le punk et l'électro la plus pointue en passant par la variété yé-yé, entre des séquences illustrant simplement un texte lu en off et des clips musicaux. Cet éclectisme se pense sans doute sous les espèces de l'audace et de l'innovation, il nous paraît surtout informe. Nous autres modernes sommes certes atteints de la passion du nouveau, mais a-t-on si peu d'attention qu'il faille constamment nous surprendre, nous occuper avec des nouveautés, au point de changer deux fois de voix-off? Nous sommes des animaux, et les techniques de la communication reposent sur ce fait. Nous sommes sensibles aux changements, aux stimuli, au rythme, aux voix, aux couleurs, aux lumières... et cet art total et bâtard qu'est le cinéma réunit tout cela! Alors c'est vrai, finalement on ne s'ennuie pas. Donzelli et son monteur possèdent indéniablement une belle maîtrise technique: ils savent frapper nos sens et capter notre attention, mais en vue de quoi?


Il y a un deuxième trait par où La guerre est déclarée trahit son obsession de l'effet. Sa logique quasiment publicitaire conduit donc à une fragmentation du film en petits clips ou spots avec leurs moyens esthétiques propres. Nombre de ceux-ci sont dévolus à l'exposition d'une situation. La recherche de l'efficacité, le désir de plaire immédiatement poussent à une logique de cliché: il faut plaire à la franchouille. Mais pas seulement: un petit « décalage », un beat bien trouvé et le cliché devient « stylé », acceptable par le critique ou l'étudiant branché. Regardez! C'est une soirée parisienne, on se lâche, on s'embrasse tous puis on finit mélancoliques autour d'un gratteux! Regardez! C'est une famille un peu bourgeoise mais sympa avec papy et mamie qui se chamaillent mais qui s'aiment quand même! Regardez ce sont deux supers potes! Si La guerre est déclarée surprend, c'est donc bien seulement en tant que stimulation mécanique superficielle de l'attention et pas par les mouvements profonds qu'il produirait dans l'esprit.


Au demeurant, l'histoire est belle. L'effort du couple pour être dans la joie émeut et la présentation de l'amour comme requérant décision et force de volonté interpelle. La mécanique des passions par où se succèdent l'angoisse, l'abattement, le soulagement, la joie est fort bien mise en scène par Donzelli et offre au film ses plus forts moments: la décompensation festive qui suit l'opération de l'enfant et surtout le très puissant montage parallèle soutenu par le concerto L'Hiver, lorsque Juliette sait son fils malade alors que Roméo ne le sait pas puis l'apprend. C'est donc finalement l'expérience vécue – puisque le film est paraît-il largement autobiographique – qui offre son noyau de vérité à La guerre est déclarée.


Valérie Donzelli a eu le nez pour saisir une sorte d'« air du temps ». Son film, par les signifiants qu'il manipule, par son ton ou sa manière de n'en pas avoir vraiment, s'inscrit parfaitement dans l'environnement esthétique de son époque; tout y est d'aujourd'hui. Ainsi, tout en feignant l'originalité, voire la radicalité (le film est tourné à l'aide d'un appareil photo), il est absolument à la mode. Toute oeuvre notable devant cependant être dans une certaine mesure inactuelle, le succès de La guerre est déclarée paraîtra bientôt excessif.







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