dimanche 26 février 2012

T.Kaye, DETACHMENT (2011)

"La véritable difficulté de l'éducation moderne tient au fait (…) qu'il est aujourd'hui extrêmement difficile de s'en tenir à ce minimum de conservation et à cette attitude conservatrice sans laquelle l'éducation est tout simplement impossible"

Hannah Arendt
, La crise de l'éducation

Detachment
est un film que l'on voudrait aimer. On le voudrait parce que l'on partage l'inquiétude et peut-être le désarroi qui ont motivé sa réalisation, le sentiment mélancolique que devient impossible de conserver et transmettre ce qui est digne de l'être ; parce qu'on y décèle, malgré toutes ses faiblesses, un questionnement moral honnête sur la difficulté qu'il y a à agir bien, sans solution de facilité – le détachement n'en est pas une ; et puis surtout pour les magnifiques dernières minutes, où la lecture des premières lignes de La chute de la Maison Usher accompagne des plans de salles de classe vides, jonchées de livres et de papier que les vents éparpillent. Malheureusement, ce sont les seuls plans qui frappent intensément, le seul moment vraiment réussi du film, avec, dans une moindre mesure, la déchirante rupture entre le professeur Henry Barthes et la jeune prostituée qu'il accueille chez lui.

Detachment est en effet constamment outrancier dans ses choix formels comme dans ses situations. Il n'est pas nécessaire de montrer immédiatement et comme étant la norme des élèves qui crachent sur le professeur, l'insultent ou jettent son cartable dès le premier cours, pour convaincre de la difficulté et de la crise de l'enseignement et de la transmission dans les sociétés occidentales contemporaines. Certes cela existe, mais ainsi présenté l'effet est plutôt de faire perdre sa crédibilité à Detachment et lui donner une allure de série B ; et série B pour série B, autant en voir une qui s'assume : un troisième volet de The Substitute par exemple, avec ce prof remplaçant qui bastonne vraiment et combat les gangs au cœur du lycée.
Cette outrance est d'autant plus regrettable que Kaye est clairement renseigné sur les problèmes réels que connaissent les établissements d'enseignement des sociétés libérales post-autoritaires. Qui connaît ces problèmes est frappé de l'exhaustivité presque documentaire, sinon dans la forme du moins dans le fond, avec laquelle ils sont exposés dans Detachment. Ainsi, outre les incivilités – c'est un euphémisme – de tout ordre, est-il fait état de la conversion du regard moral en regard médical (l'enfant qui n'a aucun contrôle sur soi est «hyperactif»), de la pression exercée sur l'institution scolaire par des logiques qui devraient lui être largement extérieures – «logique» affective des parents d'élèves ou logique purement comptable –, et enfin même de la langue de bois politique et de la novlangue pédagogique qui nient les problèmes ou les posent d'une manière qui les rend impossible à résoudre ; tout cela, avec, cerise sur le gâteau, la menace pour le professeur d'être accusé de pédophilie.

Quant au plan esthétique, il n'y a pas moins de quatre niveaux formels parallèles : le principal, de facture classiquement quelconque, encore qu'il soit parasité par quelques zooms malvenus et des tremblements inutiles ; celui avec filtre rouge, et plans flous et fragmentaires, les images de l'inconscient ou des souvenirs d'enfance ; les plans fixes sur Adrian Brody, devenu barbu, «détaché», et délivrant des réflexions plus ou moins claires ; et enfin les dessins qui viennent ponctuer le tout. Pourquoi pas les dessins, ce peut être intéressant ! Mais au total, le croisement de ces quatre séries est inutilement complexe et mal maîtrisé.
Plus la matière est diverse plus sa mise en forme est nécessaire et difficile. C'est une loi valable pour toutes les créations artistiques. Les maîtres en ont toujours une conscience aiguë : Truffaut, qui s'en sortait pourtant plutôt bien, était angoissé par la couleur.

Il faut préciser que ce principe - cela ne concerne plus notre présent objet - selon lequel la mise en forme et donc l'unité esthétique est d'autant plus difficile à atteindre que la matière est diverse, doit être accompagné d'un corollaire que l'on peut à peu près énoncer comme suit : la diminution de la diversité matérielle facilite sa mise en forme jusqu'à un certain seuil à partir duquel la difficulté de celle-ci croît à nouveau. Sans doute cela est-il particulièrement vrai pour le cinéma qui, par le réalisme photographique que lui imposent ses moyens techniques, tend pour ainsi dire a priori à se donner une ample matière, dont l'épuration est affaire de grand art.


1 commentaire:

Anonyme a dit…

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